Les reines de cœur en majesté
Diane de Poitiers
C’est à la fin août 2000 que Maxime Rebière a commencé à assister aux répétitions de La Dame aux Camélias au Théâtre Marigny. La particularité de cette préparation, l’intensité exceptionnelle de notre concentration, l’intimité unique dans laquelle nous collaborions nous avaient convaincus d’accompagner ces journées et ces nuits d’une réflexion. Je prenais systématiquement des notes et Maxime, donc, des croquis. S’est peu à peu constitué le projet de publier un journal des répétitions.
Maxime Rebière m’a été présenté par Dominique Borg qui devait réaliser les costumes. Les croquis de Maxime rendent compte discrètement de cette histoire, de ces mutations esthétiques, certaines voulues, d’autres rendues nécessaires par le conflit de personnalités et par des impératifs techniques et artistiques. Le théâtre est une école de réalité. On rêve et puis on doit affronter la réalité. Les croquis et les aquarelles de Maxime portent la trace du rêve, de nos rêves à tous, ceux d’Isabelle et d’Alfredo en premier lieu, le spectacle ayant été conçu pour elle et par lui à partir de mon texte et du roman d’Alexandre Dumas fils, mais aussi de la réalité, de ses hésitations et de ses déterminations.
Le théâtre est un art vivant, que rien, jamais, ne saurait figer. Bien qu’éphémère, il n’est pas voué à l’oubli. Au contraire, il reste inscrit dans la mémoire subjective de chacun. Mais cette mémoire a besoin de soutiens matériels et nous savons, moi en écrivant chaque jour, Maxime en dessinant,
que nous aurions, bien plus tard, des appuis pour nos souvenirs et ceux des autres. Isabelle Adjani avait commencé sa carrière par le théâtre, puis s’était orientée vers le cinéma et voici qu’elle redécouvrait le mystère du jeu théâtral. Ceux qui ont assisté à une ou plusieurs représentations de la pièce savent jusqu’où elle est allée dans l’expression de la douleur et de la passion et donc ce qu’ont constitué pour elle ces trois mois de répétitions et ces deux mois et demi de représentations.
Maxime, lui-même plus habitué au cinéma qu’au théâtre, découvrait le temps théâtral et la multitude d’inventions qui se succèdent dans ce travail. Au théâtre, on ne cesse d’inventer : de nouveaux gestes, de nouvelles tonalités, de nouveaux regards. Certains sont abandonnés, sans être totalement sacrifiés, d’autres sont immédiatement adoptés, définitivement trouvés et préservés jusqu’à la dernière, rigoureusement intacts. Le témoignage de Maxime Rebière, au départ envisagé pour suivre la création des costumes de son amie Dominique Borg, s’est transformé en quelque chose d’autre : tout en suivant le travail de conception et de réalisation, dans les ateliers, dans les loges, dans les coulisses, sur la scène, il a aussi porté son regard sur la préparation du jeu, sur l’analyse même du texte, sur les relations des comédiens et du metteur en scène, sur les habitudes de chacun, sur les faiblesses et sur la violence, sur la douceur et sur l’attention, sur les déceptions et sur les bonheurs. On voit apparaître sur ce carnet imaginaire les diverses phases de la création, des versions rêvées aux versions réelles, des images intérieures aux images incarnées. L’extrême rapidité du trait de Maxime, l’acuité de son regard, l’élégance du mouvement et la délicatesse de l’expression sont des atouts incomparables pour ce genre de travail qui réclame une exceptionnelle réceptivité : c’est-à-dire non seulement une sensibilité, mais une intuition qui fait automatiquement le tri entre l’inutile et l’unique, le répétitif et l’irremplaçable, ce qui sera fixé par le comédien et ce qui mourra s’il n’est pas aussitôt arrêté par le regard et le crayon. Il faut aussi de l’ironie pour écarter l’excessive gravité de certains moments de tension et pour repérer les vibrations passagères qui parfois, en public, donneront des réussites expressives. Nous nous sommes souvent souri dans le noir quand nous assistions, ainsi, à des trouvailles, un mouvement de tête, un pas affirmé, une volute de la main, ou, plus difficilement représentable, une accentuation de la voix qui pouvait être minutieusement préparée par un comédien guidé par Alfredo, mais pouvait aussi surgir de façon imprévue, parfois même à l’insu du comédien lui-même. Ce sont tous ces instants dont témoigne le travail de Maxime dans les innombrables dessins que désormais tous ceux qui ont participé à cette création peuvent découvrir comme un miroir secret, un miroir sans tain derrière lequel un peintre se tenait.